« Cache-toi, vite ! » La gamine ne perdit pas une seconde et obéit en se couvrant derrière une roche bien plus grande qu’elle. Au toucher, cela ressemblait beaucoup à du granit, elle avait rarement eu l’occasion d’en toucher mais cette pierre rugueuse et brillante, elle l’aurait reconnu parmi des milliers. Sa peau recouverte de sueur reflétait le peu de lumière qui traversait l’antre de la grotte. Ses cheveux d’un blond éclatant se collaient sur son front. La poussière de la terre, du sable et de l’air s’était déposée sur son épiderme, formant ici et là des taches plus ou moins épaisses de couleur brune plus ou moins prononcée. Son rythme cardiaque s’affolait, donnant le pas à un souffle saccadé et irrégulier. A sa gauche, quelques mètres plus loin, une femme s’était accroupie derrière une roche, sa tête dépassant de quelques centimètres pour pouvoir apercevoir d’éventuels visiteurs. Ses yeux d’un gris si clair qu’on pouvait confondre avec un blanc semblait pouvoir scruter à des kilomètres à la ronde. La petite fille la regardait, ses yeux océans pétillaient d’admiration. « Si quelqu’un vient, cours et surtout ne te retourne jamais. Cours du plus vite que tu pourras et cache-toi. » Elle marqua une courte pause le temps de reprendre son souffle. La bambine ne dit pas un mot et se contenta d’acquiescer d’un léger mouvement de tête. « Ne laisse personne mettre la main sur toi Margeary. Ne leur donne pas ce droit. » De nouveau, elle abaissa a tête en signe de compréhension. Devenu tout à coup comme muette, elle n’eut ni le courage, ni la force de lâcher un mot. Mais la brune n’en démordait pas. « Promets-le-moi ! » insistait-elle. « C’est promis. » finit-elle par dire dans un soupir.
Dès lors, la roche contre laquelle la maître de feu s’appuyait vola en éclat. Elle se retrouva à terre instantanément et sembla comme sonnée par le choc. Margeary releva la tête et vit au loin, trois maîtres de la terre qui se dirigea vers les deux femmes. Lorsqu’elle s’en rendit compte, son aîné lui chuchota « Cours. » La blonde ne perdit pas une seconde et prit ses jambes à son coup et continua son chemin vers les profondeurs toujours plus sombres de la grotte. L’autre peina à se relever et lorsqu’elle y parvint, deux maîtres s’attaquait à elle, l’un fissura le sol sous ses pieds, déséquilibrait la trentenaire tandis ce que le second propulsaient déjà de petits cailloux en sa direction. Le troisième partait à la poursuite de la jeune blonde qui, tétanisée par la peur, chuta une première fois.  Lee maître de la terre en profita pour progresser vers elle. Toute tremblante, Margeary ne sut comment se relever. La silhouette d’un homme arriva à sa mesure. Elle se retourna, elle était tombée nez à nez avec un colosse à la peau halée, presque noire. Son crâne rasé, ses muscles saillants, ses sourcils froncés et son sourire en coin ne manquèrent pas d’effrayer la petite. Il la saisit par les bras et la soulevant, lui demanda son nom. Elle demeura muette et se contenta de faire non de la faire. Ses paumes ruisselaient de sang, tout comme ses genoux s’étant frottés à la pierre lors de sa chute. « Tu vas me dire ton nom oui ! » dit-il en haussant le ton. Serrant des mains contre la peau de ses bras, la souffrance s’éprenait d’elle. Elle ferma ses paupières, deux larmes s’échappèrent du pli de ses yeux. Celles-ci avaient un reflet rouge, ce qui retint l’attention de l’homme. Soudain, elle ouvrit les yeux. Ceux-ci avaient pris une teinte orangée, les bords de sa pupille étaient devenus presque jaunes. Un léger souffle s’échappa de sa bouche qui, momentanément, se métamorphosa en un fabuleux filet de flammes venant brûler les mirettes du maître de la terre. Un cri fort et puissant, il lâcha la petite blonde et porta ses mains à ses yeux. L’homme était aveugle.

Un léger petit souffle caressa sa nuque, le dessous de son menton et ses bras nus. L’été venait. L’air se réchauffait, sa peau bronzait, les journées s’allongeait. Assise en tailleur sur une herbe sèche et haute de quelques centimètres, elle sentait le sol s’assécher sous ses cuisses. La montagne était derrière elle et dominait la vallée. Margeary était bien loin de toute civilisation, seule Vole restait à ses côtés quoi qu’il arriva. L’oiseau était d’ailleurs niché à quelques mètres de hauteur dans la montagne. De là où elle était, elle avait une vue imprenable sur toute la plaine en contrebas. En ce temps, elle se sentit libre, loin de tout et si proche d’ailleurs. Là elle se ressourçait, trouvait entre ses monts et plateaux une certaine harmonie dont l’humain était dépourvue. Le ciel était dégagé et le soleil venait briller sur les moindres parcelles de son corps. Les rayons pénétrait en for intérieur et semblait lui donner un apaisement divin. La blonde se sentait plus puissante, plus forte. Entrouvrant ses lèvres, inspirant une bouchée d’air, une douce mélodie s’en échappa. Un sifflement que son daemon perçut immédiatement. Instantanément, la colombe lui rendit son chant, déploya ses ailes et vola à elle. Se posant à ses pieds, la maître du feu lui tendit sa main emplie de graines diverses. L’oiseau ne tarda pas à en picorer la moitié avant qu’il ne s’envole de nouveau. La jeune femme finit par lâcher ces grains et fermer les yeux. Ses paupières tremblotaient légèrement, son souffle s’apaisait, ses pensées se dégagèrent et une seule et unique idée lui vint à l’esprit. Contrôle.
Ouvrant ses paumes, deux flammes apparurent. La chaleur était cuisante mais elle ne semblait pas en ressentir le moindre picotement. Margeary rapprocha ses deux flammes au point qu’elles ne finirent qu’en former qu’une seule. Longue de près de trente centimètres, sa flamme dansait dans ses mains, libre. Se forçant à fermer ses paupières toujours plus fort, la flamme prenait toujours plus d’ampleur, grandissait sans cesse au point qu’elle atteint bientôt le double de sa taille initiale. Totalement sereine, la maître du feu ouvrit les yeux, devant ce gigantesque feu, son cœur se mit à battre plus fort. Voilà des mois qu’elle continuait sans cesse à se dépasser mentalement pour atteindre les sommets de son pouvoir, qu’elle donnait le meilleur d’elle pour gagner en maîtrise. Délicatement, elle leva ses mains au ciel jusqu’à ce que ses bras ne puissent plus continuer, le brasier, lui, ne cessait de grimper, on ne peut plus fière d’elle, la jeune femme crispa son poing droit. Le feu se stoppa dans sa course vers les cieux, se concentra au point d’en former une gigantesque boule de feu qu’on aurait pu comparer au soleil. Des flammèches s’en extirpaient dans de petites explosions, le spectacle était simplement fabuleux. Soudainement, son point se relâcha au point que ses doigts se tendirent, dans le même instant, la boule de feu qui planait au-dessus d’elle se démultiplia en de nombreuses petites flammes qui tel un feu d’artifice, tombèrent au sol en un boum. La scène était juste saisissant, la belle contemplait elle aussi son œuvre plein de magnificence, chacune des flammèches semblait léviter au tour d’elle. Euphorique, la jeune femme souriait, un large sourire embellissant son doux visage. Elle l’avait, le contrôle.

« C’est ici que nous vivons, que tu as vécu avec nous. » Elle pointait du doigt les quelques habitations des rebelles. C’est là qu’elle-même vivait depuis qu’elle avait volontairement choisi de rejoindre la rébellion. Ses appartements n’étaient pas décorés, les rebelles n’apportaient pas la moindre importance aux grigris en tout genre, il n’avait d’œil que pour leur ultime objectif, mettre à bas le gouvernement. Etait simplement posé sur sa table de chevet en chêne un cadre photo et une photographie d’elle-même et son grand frère. Sur celle-ci, Anatol n’avait pas encore ces cernes violacés et cet air épuisé qui lui allait si mal. Mageary savait pour quelle raison il était dans un pareil état, la traque l’avait anéanti. Flairer les rebelles l’avait fatigué au point qu’il ne tenait presque plus debout, chasser les fauteurs de trouble l’avait rendu mauvais. Il n’avait jamais été ce genre d’homme aussi assoiffé de sang. Et l’amnésie dont il était victime ne rendait sa sœur qu’on ne peut plus heureuse. Elle était heureuse de voir un homme nouveau se présenter à elle et non pas le monstre qu’avait façonné la Ligue. Rien que pour cette raison, elle haïssait le gouvernement, les Bernstein et la Ligue. « Par ici il y a le réfectoire, ça ne vaut pas les plats de Maman mais on y mange bien. Tu viendras hein ? On y fait de superbes rencontres. » assura-t-elle, cherchant par tous les moyens d’intégrer son frère à la rébellion. Elle n’était pas fière de ce qu’elle lui racontait et pourtant, c’était selon elle l’unique alternative. Entre le revoir parmi la Ligue arborant ce costume de bête sanguinaire et le voir à ses côtés à servir le bien, il n’y avait pas l’ombre d’une hésitation. Elle n’avait pour ainsi dire jamais menti à Anatol, du moins pas aussi gravement. Elle se souvenait qu’elle lui avait menti la fois où elle avait volé des bonbons mais ce n’était simplement pour ne pas que Papa ou Maman ne la gronde. A cet instant, la si gentille petite sœur masquait une réalité cruelle et bien trop sombre pour qu’elle ne voie le jour. Il est clair qu’elle s’en voulait. Mentir si gravement à son frère n’était pas tâche aisée. Elle aurait voulu ne jamais avoir à le faire mais l’objectif était trop important pour qu’elle y renonce, surtout pas en si bon chemin pour qu’il inculque les idées du Soulèvement.
Mais ne devenait-elle pas comme tous ces gens ? N’était-elle pas de ces machines destinées à servir une cause qui la dépassait ? Elle pensait simplement à revenir comme auparavant, dans une société harmonieuse mais les objectifs étaient plus importants et elle n’en avait pas même conscience. Si la Rébellion venait à triompher, pourrait-elle encore compter sur la nation de l’air, ne serait-elle pas traiter comme tous les autres, comme la nation tyrannique dont il ne partageait que le don ? Margeary ne s’était pas même posé la question et ne pensait qu’à prendre le dessus sur tout ce que la ligue avait contraint son frère à penser. « Tu veux que je te présente quelques un de mes amis ? » l’interrogea-t-elle. Sa mine défaite ne traduisait sûrement qu’une seule envie, celle de rejoindre sa chambre et d’oublier tout ce monde encore nouveau pour l’amnésique qu’il était devenu. « Non, pas aujourd’hui Marge. » Une légère moue habilla le visage de la jeune femme déçue de ne pas réussir à maîtriser son aîné comme elle le souhaitait, plus coriace qu’il n’en avait l’air. « Oh, et bien… demain peut-être ? » insista-t-elle malgré qu’il ne paraissait pas plus emballé. Elle l’aurait sans doute à l’usure se convint-elle. «  Oui, demain sera mieux. » dit-il finalement dans le seul but de faire plaisir à sa petite sœur. Le travail serait long et Margeary devra redoubler d’effort mais elle se sentait apte à faire changer d’avis la bête furieuse qui sommeillait encore en lui.