Tu entres doucement da la chambre de ton frère. Il est concentré sur la manipulation d'une sphère d'eau. Tu sais qu'il travaille d'arrache pieds chaque jour, tu sais qu'il veut devenir bon, qu'il veut faire la fierté de la famille autant que tu la fais. Parfois tu te surprends à l'envier. La maîtrise de cet art, même si tu dois la travailler, est souvent trop facile. La facilité, même si elle peut se montrer agréable, est aussi source de conflits avec d'autres. Sujette à la jalousie de certains et à l'admiration d'autres. Ton frère t'admires, tu le sais. Tu as beau n'être âgée que de dix ans, tu le vois dans ses yeux. Tu te dis que tu dois souvent avoir le même regard face à sa persévérance, à sa détermination. Tu avances doucement, veillant à ne pas faire de bruit. Kvasir passe son temps à te surprendre et y parvient à chaque fois. Cette fois, tu as décidé que ce serait ton tour d'y parvenir.. Et tu sais que les seules fois où tu arrives à lui foutre la peur de sa vie est quand il s'entraîne. Tu sais que c'est pas sympa de ta part, mais une petite part de toi revancharde ne peut s'empêcher de vouloir lui rendre la monnaie de sa pièce. C'est comme ça que vous fonctionnez, ton frère jumeau et toi. Et cela se passera toujours comme ça, l'âge ne changeant pas votre rivalité enfantine. Soudain, alors que t'apprêtais à lui saisir les épaules, tu entends sa voix s'élever dans le plus grand des silences. Je sais que tu es là, Frigga. Tu te demandes comment il a pu le savoir, d'habitude il est bien trop concentré pour repérer ta présence ! Comment t'as su ? Se tournant vers toi, il a un sourire de vainqueurs et légèrement provocateur. A croire que je m'améliore ! Alors, il t'envoie la fameuse sphère d'eau dans la figure, explosant de rire. Alors que tu aurais dû répondre de façon totalement immature, la fierté gonfle ton petit coeur et tu lui saute dans les bras. Plus tard, tu seras le meilleur.

Tu as aimé cette période de ta vie, ce moment d'innocence, ces moments de naïveté. Tu y repenses souvent. Elle te manque cette période où tu pouvais jouer dans la neige avec Nora sans penser à plus grave. Elle te manque cette période durant laquelle tu n'avais pas ce don de guérison..

C'est à l'âge de douze ans que tu as découvert ce don qui sera un fardeau mais également ton plus beau cadeau. Tu te baladais sur ce même chemin qui deviendrait ensuite ton lieu de promenade favori. Quelque chose a attiré ton attention. Un bruit venait de quelques mètres plus loin.. Non, pas un bruit mais une plainte. Tu t'étais mise à avancer plus vite en jalousant légèrement Kali qui s'était changé en mésange pour se nicher dans ta capuche, à l'abri du froid, du vent et de la neige. La première chose que tu as aperçu était une tâche blanche dans le creux d'un tronc d'arbre. En t'approchant, tu as compris que c'était un renardeau des neiges. En l'inspectant rapidement, tu as découvert une tâche rouge sur sa patte. Il était blessé. Tu n'avais rien sous la main pour le soigner alors tu as décidé de prendre un peu de neige pour l'appliquer sur la blessure et anesthésier la douleur à l'aide du froid. Il a piaulé lamentablement, mais n'a rien fait pour t'attaquer. Doucement, tu as caressé sa tête en lui parlant d'une voix douce et rassurante. Ca va aller, il faut juste que je trouve un moyen de te ramener à la maison.. Alors que tu pensais demander à Kali de quitter son confort pour se changer et t'aider d'une manière ou d'une autre, ton regard s'est perdu dans celui du jeune animal et un frisson t'as parcouru. Il te semblait tellement seul et effrayé en cet instant que tu n'avais qu'une envie : l'aider de toutes les manières possibles. A ce moment précis, tu n'étais plus du tout en colère, au contraire. Tu te devais d'être plus calme que jamais pour ne pas effrayer l'animal. Tu as fermé les yeux, comme emporté par cette sensation qui grandissait en toi et que tu n'avais jamais ressenti. Tu avais l'impression que jamais plus rien ne pourrait te faire sortir de tes gonds, pas même ton frère. Soudain, cette plénitude agréable s'est transformée en un éclair de douleur à la jambe. Cette douleur t'a tellement surprise que tu as eu un geste de recul immédiat et un petit cri de stupeur. Le renardeau, lui, s'est levé, le regard plus vif et t'as observé la tête penchée sur le côté. Tu t'es approché de l'animal et tu as observé sa patte qui semblait saine, exceptée la tâche de sang sur son pelage. Il s'est glissé en dehors de l'ouverture et a disparu dans les bois. Après l'avoir vu disparaitre, tu as tâté ta jambe sans plus avoir mal.

Ne comprenant pas ce qui venait de se passer, tu as immédiatement fait demi tour pour aller retrouver Maître Edwin qui t'as expliqué ce qu'il s'était passé dans la forêt ce jour là.

Tu est concentrée sur ta respiration, laissant l'air faire voler les cheveux que tu as lâché. Tes yeux sont clos, ton esprit focalisé sur une seule et unique chose : le cours d'eau qui dévale la colline enneigée qui se situe à un kilomètre, tout au plus, de ton foyer. Inspiration. Cage thoracique qui se lève. Coulis de l'eau sur les roches. Expiration. Cage thoracique qui s'abaisse. Vent qui caresse ton visage. Calme. Sérénité. Plénitude. Quelques gouttes de pluie qui s'écrasent doucement sur tes pommettes, tes mains. Qui se fraient un passage dans la chevelure que tu as renoncé à dompter depuis bien longtemps déjà. Ton ton être se détend au fil de ta séance de relaxation. Ton esprit s'ouvre à des sensations que tu ne remarques pas toujours. L'odeur des sapins. Le bruit d'un animal qui semble creuser dans la neige. Des pas derrière toi. Tu ouvres les yeux, ton envie de déchaîner ta colère amoindrie mais pas totalement disparue. Kvasir avance jusqu'à monter sur le rocher à tes côtés et à te prendre dans ses bras. Il ne dit rien, il n'en a pas besoin. Vous vous comprenez au delà des mots. Tu ne veux pas te marier, tu ne veux pas être enchaînée à un homme dont tu ne connais rien à dix-huit ans à peine, mais tu n'y peux rien. A moins de fuir ta nation, ta patrie, ta famille, tu épouseras l'héritier d'une riche famille marchande : Clovis Marteg. Tout ce que tu connais de lui est son nom. Comment accepter l'idée même d'épouser, de s'engager à vie, avec un homme dont on ne connait que le nom ? Tu es une Visegard, tu te maries avec la personne qui représente un intérêt pour la famille. Tu ne discutes pas, tu ne te révoltes pas. Tu le fais car tu dois le faire, point. Alors que Kvasir te sert un peu plus contre lui, quelques larmes d'une longue série commencent à couler le long de tes joues rosies par le froid.

Deux semaines après l'annonce faite par ton père, tu étais mariée et emménageait avec ton tout nouvel époux. Il s'avère que dans ton malheur, la chance t'a sourit. Quelques mois après le mariage, Clovis et toi aviez remarqué que vous vous appréciiez, mais que vous ne seriez jamais amoureux l'un de l'autre. Vous étiez un peu comme des amis enchaînés par un engagement que vous n'aviez pas voulu.. Un soir, Clovis est entré dans la chambre que vous partagiez sans conviction pour te faire un aveux surprenant. Frigga.. Cela fait quelques semaines que je vois une autre femme. BAM. Comme ça. Aucune autre forme de cérémonie. Aucun préambule. Aucune préparation du terrain. Mais dans un sens, tu comprenais. Vous n'aviez pas choisi la situation. Et qu'est-ce que je suis censée faire d'une déclaration pareille ? T'applaudir ? Te féliciter ? Clovis se sentait mal, de toute évidence, mais tu étais blessée. Idiot, certes, puisque tu ne ressentais qu'un début d'amitié pour cet homme.. Mais il avait tout de même brisé un engagement. Tu n'avais su retenir ta langue qui pouvait se montrer acerbe dans pareille situation. Après des heures de disputes, vous vous êtes rendus compte d'un fait incroyablement simple : vous n'étiez pas obligé de vous aimer avec un A majuscule. Vous pouviez former une équipe contre le monde. Vous pouviez faire semblant d'être un couple, vous tenir la main en public et même vous embrasser et cela sans vous Aimer. Vous pouviez jouer la comédie et essayer de trouver le bonheur en parallèle. Alors vous avez conclut un accord : vivre sa vie amoureuse librement tant que cela ne menaçait pas l'illusion de votre couple. Vous soutenir en toutes circonstances.

Depuis l'âge de vingt ans, tu avais mis un point d'honneur, chaque année, à prendre deux ou trois mois de retraite. Tu avais toujours eu ce besoin de t'éloigner par période. De te sentir libre. Te te sentir seule au monde. Tu avais dés lors développé un excellent instinct de survie. Certes, les nations étaient en guerre et ta famille était contre cette décision, mais c'était justement la guerre qui te faisait fuir. Cependant, alors que tu avais vingt-et-un ans, tu as rencontré un homme blessé. Il avait fuit ses terres pour espérer survivre.

Lorsque tu es arrivée dans cette petite grotte qui semblait parfaite pour la nuit, tu n'as pas tout de suite réalisé que tu n'étais pas seule. Un homme, au fond de cette dernière, se faisait le plus discret possible. Tout le monde pouvait se révéler être un ennemi potentiel. C'est lorsque tu as décidé de t'avancer dans la caverne pour t'installer plus confortablement que tu as remarqué cette masse plus sombre. La grotte était éclairée par la lumière de la pleine lune, mais cette lumière n'était pas suffisante pour que tu vois cet homme blessé immédiatement. En le découvrant, tu t'es stoppée net. Lui ne semblait plus oser respirer. Le silence le plus total semblait épaissir l'air autour de vous, vous oppresser. Ton coeur battait un peu plus vite. Sans t'en rendre compte, tu avais adopté une position défensive, tout comme l'inconnu. Tu ne voulais pas combattre et lui semblait en trop mauvais état pour le faire. Je ne veux pas engager le combat. L'homme recommence à respirer et hoche la tête. Tu te détends légèrement et commence à déballer tes affaires. Tu ne pensais pas être en zone de combat, ayant évité les grandes routes et t'étant dirigée à l'ouest afin de t'éloigner. Tu aurais pu reprendre la route pour trouver un autre lieu pour dormir, mais tu as choisi de rester. Tu ne pouvais te résoudre à laisser un homme si mal en point seul. Ce n'était pas dans ta nature. Après plusieurs heures de silence, tu te résous à prendre la parole. Vous voulez que je jette un oeil à vos plaies ? L'inconnu se crispe. Je suis à peu près sûre que si je l'avais voulu, je vous aurais déjà achevé.. Ton légèrement ironique. Bizarrement, la scène du renard des neiges te revient à l'esprit. Tu as l'impression de revoir le même regard apeuré et perdu au fond des yeux de cet homme que tu ne connais pas. Tu te lèves alors pour aller chercher un peu de neige au creux de la main que tu viens de déganter. Tu t'approches doucement, sans faire le moindre geste brusque. En t'avançant, tu remarques le bleu azur de ses yeux. Tu lui souris. Après quelques secondes, il défait son manteau de fourrure et les deux couches de vêtements en dessous pour découvrir une très vilaine plaie qui partait de sous son aisselle gauche pour arriver à son bas ventre. Une épée devait être la responsable de cette horreur. Tu ne pouvais rester à rien faire, seulement, tu savais que tu allais souffrir autant que lui durant plusieurs minutes. Tu l'as allongé totalement sur le sol et tu t'es agenouillée à ses côtés. Tu as nettoyé sa plaie rapidement, faisant du mieux possible. En plaçant la neige sur la plaie, il eu un sursaut de douleur mêlé de stupeur si bien qu'il a attrapé ton bras. Tu as baissé les yeux sur lui avec un air plus grave qu'avant. Les yeux fermés, ensuite, tu as baissé la tête et commencé à respirer plus lentement. Inspiration. Expiration. La peau brûlante de l'homme sous tes doigts. La terre sous tes genoux. Et puis l'énergie que tu fais passer dans la neige qui fond déjà. La sensation de plénitude. La faiblesse que tu sens. Tu t'abandonnes. Et soudain le monde bascule. Ton ventre se déchire, les larmes montent. Inspiration. Expiration. Energie qui s'enfuit. Douleur. Inspiration. Expiration. Elles se font plus rapides, mais tu te concentres toujours dessus alors que la douleur te semble insoutenable. Au bout de ce qui te paraît des heures, tu t'effondres sur le côté, à bout de souffle. Les yeux ouverts, tu tentes de fixer un point du plafond de la grotte qui semble tourner toujours plus vite. Au bout de quelques instants, le monde arrête de tourner pour devenir noir en t'engloutir.

Deux heures plus tard. Tu ouvres les yeux. Tu vois troubles, comme si chaque chose que tu voyais existait en double. Tu n'oses pas tourner la tête, mais tu entends des pas qui se pressent. Vous êtes réveillée ? Comment allez-vous ? Qu'est-ce que je peux faire ? Tu grognes légèrement, n'étant pas vraiment sûre d'être capable de construire une phrase. Doucement, tu te relèves, avec l'aide de l'inconnu. Alors que ta vision s'améliore et que tu vois qu'il va se remettre à parler, tu lèves un doigt lui intimant de se taire. Il comprend immédiatement et évite de prononcer un seul mot, te laissant reprendre tes esprits. Après quelques instants, tu commences à aller mieux, même si tu te sens fatiguée. Comment va votre plaie ? L'homme se contente de défaire ses vêtements afin de lui montrer le résultat de son oeuvre. Alors qu'avant, la blessure était profonde de plusieurs centimètres par endroits et boursoufflée, elle était maintenant profonde de quelques millimètres seulement et saine. Je n'avais jamais eu l'occasion de constater par mes yeux l'efficacité de l'art de la guérison.. Merci. Tu hoches la tête, ne souhaitant pas se remémorer la douleur tout de suite. Tu n'avais jamais tenté de guérir si grande blessure, mais pendant la guerre tu aurais l'occasion de t'améliorer et t'endurcir physiquement. Frigga. Tu accroches ton regard au sien. Aywin.

C'est suite à cette rencontre que tu arrêteras de fuir pour combattre aux côtés des maîtres de l'air. Une année entière, tu seras séparée de ta famille et notamment de ton frère. Tu enverras des lettres pour les informer que tu ne peux rentrer à la maison, prétextant des frontières difficiles à passer, mais en réalité, tu te battras aux côtés de ceux que tu considères comme justes et droits : aux côtés de la nation de l'air.

Cette année a été à la fois magique et difficile. La guerre ne laissait pas de répit aux maîtres de l'air, mais tu avais trouvé l'homme que tu aimais dans cette fameuse grotte. Ces deux années ont oscillé entre plénitude, amour et guerre, monstruosités. Tu n'avais jamais pensé pouvoir, un jour, ressentir deux sentiments aussi forts et opposés en même temps. Il fut pourtant un jour où tu as dû rentrer chez toi. Quand tu as eu vingt-deux ans et que le traité de paix à été annoncé, tu es rentrée chez toi. Aywin et toi aviez prévu de vous retrouver à la grotte six mois plus tard. Tu l'as attendu mais il n'est jamais arrivé. Lorsque la nation de l'air à démarré la révolte contre le gouvernement, tu as voulu repartir, mais c'est Kvasir qui t'en a empêché. Il savait tout, tu lui avais bien sûr tout dit, mais il ne voulait pas que tu risques ta vie. C'est en décembre 1997 que tu as revu Aywin, pensant qu'il avait périt durant la révolte. Tu l'as caché durant trois années entières, activement présente au sein du phénomène de révolte.

Janvier 1999. Tu ne pensais pas devoir gérer une telle responsabilité. L'idée d'avoir un enfant ne t'avait pas réellement traversé l'esprit en ces temps de crise. Mais l'indéniable était là : ton ventre s'était arrondi. Tu savais une chose : Clovis n'en était pas le père, même s'il te couvrait, fidèle à votre arrangement de toujours. Il éleva ton fils comme si c'était le sien, malgré le fait qu'Aywin était également présent dans la mesure du possible. Tu as alors du stopper tes activités rebelles pour penser à ton fils d'abord.

Mai 2000. Tu te tiens devant un vieil arbre portant une pauvre inscription : "Je promets de toujours t'aimer." Cinq ans d'amour, voilà ce qui t'as été accordé. Phillip, ton fils d'un an, commence à crier comme s'il comprenait ta tristesse. Les larmes coulent sur tes joues. La ligue l'a eu. Aywin est mort. Tu sens tes tripes se retourner à chaque fois que cette pensée te frôle. Te retournant, tu laisses l'arbre derrière toi pour rentrer à ce que tu devrais appeler maison. Seulement, cette ville n'est plus vraiment ta maison. Alors, tu décides de retrouver la rébellion, de la rejoindre à nouveau, de renforcer ses rangs. La seule question restant obscure est l'élément qui sera celui de ton fils. Air ou eau ? Peut-être que tu devras fuir, bientôt.