Elle avait tendance à broyer du noir, à penser que la guerre lui avait tout pris. Absolument tout. Certains jours, elle se disait que celle-ci l'avait laissé creuse, vidée de tout ce qu'elle était. Elle avait tant pleuré la déchéance du monde et ses conséquences, la petite orpheline, qu'aujourd'hui, elle n'avait même plus de larmes à verser : ses parents, sa famille, sa nation... Elle les avait vu tomber les uns après les autres, l'oubliant derrière dans une réalité qui ne voulait pas plus d'un enfant de l'air que la mort n'en avait voulue précédemment. Elle s’empêtrait dans le regret d'une vie dont elle n'avait plus que quelques bribes de souvenirs, les mémentos d'une époque providentielle qui finissaient par disparaître. Elle s'en voulait, parfois, de ne plus se rappeler du visage de sa mère, de la voix de son père. D'oublier, tout simplement. Puis, un jour, à l'aube de ses 8 ans, l'air s'est engouffré dans ses poumons d'une telle force qu'elle a cru mourir, une douleur semblable à un feu s'étant allumé dans sa poitrine qui menaçait d'éclater. Pourquoi ? Pourquoi l'air, qui avait toujours veillé sur elle, se retournait maintenant contre elle ? Elle avait crié en discontinu pendant les deux premiers jours, jusqu'à ce que sa voix s'épuise et que le feu dans sa poitrine se propage dans sa gorge. Les deux derniers jours de ce qu'elle avait entendu Ivan appeler l' « éveil à l'élément », elle déversa toute sa douleur et toute sa tristesse dans les toilettes, nettoyant dans un même temps son corps et sa conscience : à chaque chasse d'eau tirée, une idée noire sombrait dans les canalisations avec le reste. Le cinquième jour, l'air s’infiltra une nouvelle fois, en douceur, pour faire se soulever sa cage thoracique et la forcer à redresser la tête tout en inspirant profondément. Et, alors qu'elle regardait le monde qui s'étendait devant ses yeux auparavant embués par le passé, Zoya réalisa que si les anciens souvenirs pouvaient s'effacer, c'est parce que de nouveaux se créaient pour les remplacer.

LES GENS PERDENT BEAUCOUP DE TEMPS, ENSUITE ILS REGRETTENT. ILS PLEURENT LES HEURES PERDUES. ILS PLEURENT LES JOURS PERDUS. ILS PLEURENT LES ANNÉES PERDUES. ILS PENSENT QUE S'ILS AVAIENT D'AVANTAGE DE TEMPS, ILS POURRAIENT RÉPARER LEURS ERREURS. [TU N'AS] PAS BESOIN D'HEURES, DE JOURS, NI D’ANNÉES. [TU N'AS] BESOIN QUE D'UNE SECONDE. (ekko, lol)

Des années plus tard, elle n'a plus honte des souvenirs devenus vagues. Résolument tournée vers l'avenir, elle avance avec les conseils de celui faisant désormais office de figure paternelle et de ceux qu'elle considère comme étant sa fratrie : Ivan, Isaak et Alwen Kastarov. Liés par un serment, mais aussi un sentiment d'appartenance à un groupe commun, cette belle brochette de pièces rapportées compose une entité proche de la famille. Il n'y avait toutefois qu'une seule appellation sous laquelle Zoya se sentait vraiment leur égale : frères et sœurs d'armes. C'était certainement une idiotie pour beaucoup, mais pour Zoya, cette dernière ne prenait pas en compte les statuts sociaux tels que pupille, oncle, frère, sœur ou bien encore les liens de sang, trop restrictifs à son goût. Alors, forte d'une éducation quasi-militaire, elle reconnaît sa famille dans ses frères et sœurs d'armes de la première heure. Et ces trois-là lui ont tout appris de ce qu'elle sait aujourd'hui, n'ayant pas pu aller à l'académie. Ivan s'est occupé de la former à la maîtrise de son élément avec une grâce qu'elle n'aurait jamais prêté à un homme avant lui, Isaak et Alwen se sont chargé de l'endurcir pour la préparer aux dangers du monde et de lui faire part de leurs expériences d'adolescents pour lui éviter les erreurs qu'ils avaient pu commettre (comme le fait que soulever les jupons d'une demoiselle pour voir ses dessous à l'aide de sa maîtrise n'était pas toujours apprécier et pouvait potentiellement vous mener en prison pour harcèlement et utilisation d'un élément officiellement disparu. « Des erreurs ont étés commises et des leçons en ont étés tirées ce jour-là. » avait avoué Isaak en rapportant non sans un sourire cet épisode de sa vie d'adolescent aux hormones bouillonnantes.)

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La vie de la dernière des Arslyan pouvait se résumer dorénavant en deux serments qu'elle avait prêtés très jeune. Et ces deux serments concernaient une même famille, celle des Livanov. Si les circonstances avaient étés un tant soit peu différentes et que cette guerre n'avait pas éclaté, son implication dans la sécurité de la famille souveraine de la nation de l'air n'aurait pas été différente : le nom qu'elle porte la destinait dès sa naissance à protéger les descendants de Karina, les Arslyan étant à l'image des Kastarov une famille de militaire depuis des décennies maintenant. Mais toutes deux ont faillis à leur mission quant a été annoncée l'éradication complète de leurs souverains par la nation du feu. Zoya n'avait pas uniquement été destinée à être la protectrice, on avait également décidé de faire d'elle l'épouse de l'un des fils de cette grande famille qu'elle idolâtrait. Une fois encore, les horreurs de la guerre marquaient celle qui n'était pourtant pas encore une femme. Certains pourront lui prêter de mauvaises intentions et voir en elle une opportuniste de premier ordre s'accrochant désespérément au seul espoir qu'elle avait eu de s'élever socialement. Néanmoins, ce serment fait durant son enfance ne faiblissait pas : au même titre qu'elle suivait les ordres d'Ivan dans la milice mise en place par ce dernier pour parer à une éventuelle guerre civile dans la cité d'Elioras - avec une fidélité sans faille pour ses représentants, et ce, malgré leur décès présumé - elle n'a jamais cessé de se présenter comme la fiancée de Gael Livanov, fils aîné de la sœur de son tuteur.